Nous avons analysé la part de provocation, de stratégie éditoriale, et la part plus objective de réaction scandalisée dans l’accueil réservé, du vivant de l’écrivain, aux livres de Huysmans. Comme les autres écrivains qui se réunissent autour de Zola, Huysmans introduit dans ses œuvres des éléments de provocation, en mettant en scène la réalité, fût-elle répugnante, au nom de la recherche du vrai. Mais sa correspondance témoigne aussi d’une volonté de choquer : « Je sais qu’actuellement dans la masse énorme de livres qui paraissent il faut frapper dur pour se faire entendre ; il faut même une certaine pointe de scandale », écrit-il en avril 1879 à Camille Lemonnier. Lorsqu’il choisit de consacrer son premier roman, Marthe, à une prostituée parisienne, Huysmans sait qu’il risque de provoquer l’indignation de la société bourgeoise. Malgré le mariage de raison de Léo avec une autre femme, qui clôt son aventure avec Marthe, et malgré l’absence de scènes scabreuses, le sujet à lui seul, tel qu’il est précisé dans le sous-titre : histoire d’une fille, suffisait pour choquer une partie de l’opinion. Le romancier débutant redoute à la fois la critique et la justice des tribunaux. Les scandales littéraires se multiplient, en cette année 1876 : L’Assommoir de Zola, paru en feuilleton dans Le Bien public, est accusé d’immoralité ; La Chanson des gueux de Richepin est interdite et vaut à son auteur un mois de prison et cinq cents francs d’amende. Par prudence, Huysmans se rend à Bruxelles, pour y faire imprimer son roman, qui figurera dans la Liste des écrits étrangers dont l’entrée en France a été interdite depuis le 4 septembre 1870. Une partie des exemplaires seront saisis à la frontière ; d’autres, expédiés en France en contrebande, circuleront sous le manteau. Lorsqu’il s’apprête à faire paraître Les Sœurs Vatard, en 1879, Huysmans craint à nouveau que le roman ne déclenche les réactions de la censure. Cette fois, cependant, ce n’est pas tant l’intrigue qui suscite la réprobation des journalistes, mais le style et le recours à l’argot et à un lexique jugé grossier. Dans Sac au dos, qui deviendra la contribution de Huysmans aux Soirées de Médan, en 1880, le regard de l’écrivain remet en question une conception héroïque de la guerre et la nouvelle est comprise comme antipatriotique par les milieux bien-pensants. On pourrait penser que le goût du scandale anime principalement le premier Huysmans, l’auteur de romans naturalistes, qui cultive un penchant pour l’ordure. Pourtant, en 1884, À rebours provoque un autre type de scandale : le romancier, qui s’éloigne alors de l’esthétique naturaliste, met en scène un personnage qui, par sa singularité, et par l’étalage de ses expériences sexuelles, est en lui-même scandaleux : des Esseintes choque un autre public, celui des compagnons de route de Zola. Mais ce parfum de scandale est aussi une arme de séduction. Là-bas, en 1891, connaîtra un autre succès de scandale, par le récit des crimes de Gilles de Rais et par la description de la messe noire. Après sa conversion, en 1892, le romancier, en changeant à nouveau de public, reste fidèle à son principe de sincérité provocatrice.
« Huysmans entre provocation et scandale » / Guglielmi, Francesca. - (2021). (Intervento presentato al convegno « Esclandre/Scandalo », organizzato dall’Università degli Studi di Macerata e dall'Université Clermont Auvergne – IHRIM tenutosi a Università di Macerata (in videoconferenza) nel 15-17 aprile 2021).
« Huysmans entre provocation et scandale »
Guglielmi, Francesca
2021
Abstract
Nous avons analysé la part de provocation, de stratégie éditoriale, et la part plus objective de réaction scandalisée dans l’accueil réservé, du vivant de l’écrivain, aux livres de Huysmans. Comme les autres écrivains qui se réunissent autour de Zola, Huysmans introduit dans ses œuvres des éléments de provocation, en mettant en scène la réalité, fût-elle répugnante, au nom de la recherche du vrai. Mais sa correspondance témoigne aussi d’une volonté de choquer : « Je sais qu’actuellement dans la masse énorme de livres qui paraissent il faut frapper dur pour se faire entendre ; il faut même une certaine pointe de scandale », écrit-il en avril 1879 à Camille Lemonnier. Lorsqu’il choisit de consacrer son premier roman, Marthe, à une prostituée parisienne, Huysmans sait qu’il risque de provoquer l’indignation de la société bourgeoise. Malgré le mariage de raison de Léo avec une autre femme, qui clôt son aventure avec Marthe, et malgré l’absence de scènes scabreuses, le sujet à lui seul, tel qu’il est précisé dans le sous-titre : histoire d’une fille, suffisait pour choquer une partie de l’opinion. Le romancier débutant redoute à la fois la critique et la justice des tribunaux. Les scandales littéraires se multiplient, en cette année 1876 : L’Assommoir de Zola, paru en feuilleton dans Le Bien public, est accusé d’immoralité ; La Chanson des gueux de Richepin est interdite et vaut à son auteur un mois de prison et cinq cents francs d’amende. Par prudence, Huysmans se rend à Bruxelles, pour y faire imprimer son roman, qui figurera dans la Liste des écrits étrangers dont l’entrée en France a été interdite depuis le 4 septembre 1870. Une partie des exemplaires seront saisis à la frontière ; d’autres, expédiés en France en contrebande, circuleront sous le manteau. Lorsqu’il s’apprête à faire paraître Les Sœurs Vatard, en 1879, Huysmans craint à nouveau que le roman ne déclenche les réactions de la censure. Cette fois, cependant, ce n’est pas tant l’intrigue qui suscite la réprobation des journalistes, mais le style et le recours à l’argot et à un lexique jugé grossier. Dans Sac au dos, qui deviendra la contribution de Huysmans aux Soirées de Médan, en 1880, le regard de l’écrivain remet en question une conception héroïque de la guerre et la nouvelle est comprise comme antipatriotique par les milieux bien-pensants. On pourrait penser que le goût du scandale anime principalement le premier Huysmans, l’auteur de romans naturalistes, qui cultive un penchant pour l’ordure. Pourtant, en 1884, À rebours provoque un autre type de scandale : le romancier, qui s’éloigne alors de l’esthétique naturaliste, met en scène un personnage qui, par sa singularité, et par l’étalage de ses expériences sexuelles, est en lui-même scandaleux : des Esseintes choque un autre public, celui des compagnons de route de Zola. Mais ce parfum de scandale est aussi une arme de séduction. Là-bas, en 1891, connaîtra un autre succès de scandale, par le récit des crimes de Gilles de Rais et par la description de la messe noire. Après sa conversion, en 1892, le romancier, en changeant à nouveau de public, reste fidèle à son principe de sincérité provocatrice.I documenti in IRIS sono protetti da copyright e tutti i diritti sono riservati, salvo diversa indicazione.